Suite de notre enquête auprès de DRH sur le sujet des nouveaux enjeux RH, voici le point de vue de Sandrine PICOT, Directrice des Relations humaines chez VERSPIEREN, 1er groupe de courtage en assurances indépendant en France.
Pensez-vous que le COVID et les séquences qui ont suivi aient engendré des changements dans vos fonctions, vos problématiques ?
Oui, plusieurs éléments de contexte ont évolué et entraîné des changements dans la vie des RH. Depuis 2020, le rapport des collaborateurs avec le travail a considérablement évolué. Ce n’est plus le premier facteur déterminant de chacun. Désormais, certaines exigences personnelles passent avant. Cela se ressent dans le recrutement, comme dans l’organisation du travail. Et à mon sens, ce sont des tendances plutôt multigénérationnelles. Même si les évolutions sont plus profondes parmi les plus jeunes générations.
Il faut se rendre compte que ces questions qui n’existaient pas au sein de l’entreprise il y a trois ans, deviennent des facteurs déterminants dans le recrutement et des éléments importants de réflexion pour les collaborateurs au quotidien.
Dans de nombreux secteurs, on assiste aussi à un renversement total du marché du travail. Un renversement des forces. Auparavant, l’employeur choisissait. Aujourd’hui, c’est à l’entreprise d’être dans la séduction, le projet futur, le « sens » qu’elle porte… pour le recrutement évidemment, mais aussi pour les collaborateurs.
Vous évoquez un changement sociétal et son impact quotidien parmi les collaborateurs. Cela change quoi, concrètement, dans votre métier ?
Cela a des conséquences très diverses. Aujourd’hui, les RH doivent bien davantage prendre en considération les attentes du collaborateur, la « personne » dans son entièreté. La dimension du bien-être et de la qualité de vie devient prépondérante. Nous devons accorder une attention plus large à son histoire, son expérience, à ses compétences et ses attentes, au savoir-être et plus seulement au savoir-faire. La relation de confiance est essentielle. Les qualités d’écoute et de communication sont nécessaires et demandent aux équipes RH d’être formés.
Cela peut mettre les RH dans des positions complexes, où il faut savoir reconnaitre, et poser, ses limites. Nous ne sommes pas des psychologues par exemple. Ça n’est pas notre métier, et nous n’avons pas les compétences pour accompagner psychologiquement les individus.
Il peut être très compliqué de dire à une personne : « Ma capacité à vous accompagner s’arrête là… », mais nous devons absolument savoir gérer ces limites.
Les nouvelles générations, en particulier, souhaitent cultiver leurs connaissances, il est plus aisé d’acquérir de nouvelles compétences, l’accès au savoir est simplifié. Le niveau d’exigence auprès des RH et de l’entreprise pour un accompagnement personnalisé dans la conduite du parcours professionnel est de plus en plus fort. Je pense que, auparavant, on pensait sa carrière au travers d’une entreprise. Aujourd’hui on pense parcours professionnel au travers des expériences qu’offriront plusieurs entreprises. De terreau, l’entreprise passe à engrais…
L’autre élément frappant est une sorte de raccourcissement du temps, ou une relation au temps différent. Il y a quelques années, les entreprises construisaient des politiques RH structurées et de long terme. Aujourd’hui, il semble tellement étrange d’envisager ce genre de temporalité… Face à l’imprévisible, il faut s’adapter rapidement, être dans l’interaction quasi immédiate, et le concret. Le délai de patience pour les évolutions de fonction est également un élément qui a évolué. Assez rapidement, si des évolutions ne sont pas possibles, les collaborateurs feront le choix de changer d’entreprise.
Comment faites-vous pour partager ces constats auprès des dirigeants ? Quelle implication des managers dans ce sujet ?
Il peut être difficile de porter ces évolutions et leurs implications auprès des dirigeants et de leur en faire mesurer les impacts. Nous sommes un peu dans l’impalpable, finalement. Ce sont des changements de comportements, nous manquons de « preuves ».
Les « preuves » sont néanmoins prééminentes à deux moments bien particuliers : lors du recrutement, et lors des départs. Dans le cadre du recrutement, c’est limpide : les candidats ne répondent pas, tout simplement…
Il faut être dans une logique d’explication, pour parvenir à faire passer l’idée que ce sont des constats factuels, avec lesquels il est nécessaire de « faire » différemment.
Pour être entendus de nos dirigeants, nous devons avoir une voix commune avec les managers, la fonction RH doit se faire le porte-parole du vécu, et non uniquement de tendances sociétales. D’où l’importance de la proximité entre les RH et les managers, un partenariat, une écoute active de leurs réalités.
De plus, pendant le covid, on leur a demandé beaucoup, sans vraiment les accompagner. Ce sujet est devenu une priorité pour nous en 2022 : nous nous sommes posé la question du profil et du rôle du manager, nous avons multiplié les bilans, les sessions de formation auprès de ces populations. L’enjeu de formation est important. Et ces évolutions nécessitent aussi une capacité de travail sur soi.
La situation actuelle de crise a-t-elle atténué la montée des attentes des collaborateurs, et les changements de comportement constatés juste après le COVID ?
Nous avons très peu de recul. La crise a peut-être légèrement modifié la donne. Face au danger économique, les gens se sentent peut-être moins libres de bouger. Mais la conséquence est plutôt du côté de l’ambiance. On est moins dans une logique de départ, et plus dans celle d’insatisfaction. La guerre, l’inflation ont poussé les gens à rester, mais dans une logique de repli, et moins positive.
L’inflation des salaires sur les nouvelles embauches – conséquence incontournable des pénuries de recrutement – est assez déstabilisante pour le collectif aussi.
Quels sont les nouveaux enjeux autour du recrutement pour VERSPIEREN ?
Verspieren est dans un univers professionnel spécifique : nous sommes courtiers en assurances. Un secteur où beaucoup d’entreprises ont une pyramide des âges similaire. Cela crée une concurrence sectorielle importante.
On est arrivé sur des inflations salariales qui n’ont plus de sens… nous avons des coûts de recrutement importants, les viviers de recrutement sont difficiles à constituer, même les cabinets de recrutement s’en font l’écho. Les délais s’allongent et génèrent des carences de postes impactantes pour les équipes.
Cela nous oblige à penser différemment, nous ne pouvons plus recruter uniquement des professionnels qui ont à la fois les compétences liées à leurs fonctions et la connaissance du secteur, leur nombre étant de plus en plus limité et la concurrence importante.
Chaque nouveau départ nous oblige à requestionner le mode de fonctionnement actuel. Il faut aussi ouvrir les possibles sur les profils, faire venir des professionnels d’autres secteurs. Parce qu’une technique liée à un secteur s’apprend. Ce qui nécessite aussi qu’en interne nous intégrions cette évolution.
Et que retirez-vous de positif de ce moment ?
D’abord, globalement, il me semble que les gens ont vraiment besoin de recréer du collectif. Un nouveau collectif. Avoir du plaisir à se rencontrer, se retrouver avec les collègues. Et ce de manière beaucoup moins silotée qu’avant. Pour prendre un café, bavarder…
L’accompagnement « plus humain » des collaborateurs aussi. C’est dur, mais c’est extrêmement positif de se sentir utile pour quelqu’un, pour qu’il se sente mieux.
Et puis nous avons développé de nouveaux projets, qui portent la transversalité et la mobilité interne au sein de l’entreprise. Quand un collaborateur pense avoir fait le tour de sa fonction et a envie de changement, on cherche aujourd’hui à générer la mobilité interne pour éviter son départ.
Et globalement, je dirais que la nécessité de l’agilité est le vrai changement de la fonction RH. Avant nous faisions des politiques RH, des stratégies RH… je pense que ce n’est plus adapté au temps : aujourd’hui, dans un monde « VICA », nous ne pouvons plus prévoir l’avenir, mais il faut s’y adapter le plus vite possible ! Nous allons chercher des projets et des outils de court terme. Nous n’attendons plus d’être 100 % sûr pour faire. Cette agilité, cette flexibilité sont « challengeantes » et mettent en avant des capacités de décision et … de droit à l’erreur !
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