Il y a des jours où ne devrait pas lire sa boite à courriels histoire de ne pas s’énerver. Pourtant, quoi de plus inoffensif qu’un communiqué de presse ? En plus de 7 ans de blogging ininterrompu, j’ai mis en place tout ce qui va bien pour les recevoir : une adresse spécifique, des règles de classement, un moment pour les survoler… Oui car j’en reçois des kilos. Ce qui veut dire que chaque agence (et son client) va tout faire pour m’arracher quelques minutes de temps de cerveau disponible afin que je prenne le temps de lire leurs quelques lignes.
Le problème, c’est qu’il y a un tiraillement très fort entre la volonté de « faire original » et de respecter les règles immuables du communiqué de presse (de son petit nom « CP ») : un titre à rallonge et laudateur, un chapeau pour expliquer en une phrase le pourquoi des lignes qui suivent, des paragraphes où doivent impérativement apparaître les mots « innovant, nouveau, inédit, à la pointe, street marketing, opération 360, web 2.0, Facebook » (rayez les mentions inutiles), la citation incontournable auto-congratulante d’un executive, et enfin le boiler-plate rappelant que la moindre boite est leader sur son marché, même s’il s’agit d’une micro-niche sur la tranche des 75-77 ayant encore une télé cathodique, une nappe à carreaux et aimant se rendre à la Poste entre midi et deux (remarquez, ça peut encore faire pas mal de monde).
Bref, il y a des figures imposées, ou qui s’imposent toutes seules au nom d’on ne sait plus vraiment quelle raison puisque 90% des CP finissent dans le classement vertical des boites à courriels.
Depuis peu, les mots précédés d’un #dièse pullulent : les hashtags mots-dièses sont dans la place ! La faute à Twitter et son expansion hype, le réseau social le plus trendy et hipster du moment pour les marques.
Alors imaginez si l’on mélange tous ces ingrédients… Il doit bien y avoir quelque chose à faire, non ? Un truc trendy, qui sorte de l’habitude afin d’accrocher quelques secondes l’œil hagard du journaliste ou du blogueur ? Oui, je vous le confirme, y en a qui osent :
#recrutezmoi :
Monster braque le projecteur
sur les candidats avec une opération 3.0
J’avoue, je suis resté subjugué devant un tel combo : un hashtag mot-dièse, une grande marque et une opération 3.0, je me suis dit que nous allions tutoyer le sublime. Je ne me suis pas trompé :
Des candidats au cœur d’un dispositif de recrutement social innovant
Dès le 28 octobre, les candidats sont invités à tweeter et/ou à poster via Facebook® des messages associés au hashtag* #recrutezmoi mettant en avant leurs profils et compétences professionnelles. Ces posts seront mis en valeur sur la page Facebook® de Monster France, via un onglet dédié à l’événement, et également sur le site e-commerce de Monster où de nombreux recruteurs se rendent quotidiennement pour publier leurs offres d’emploi et/ou consulter les CV des candidats inscrits sur Monster. Les participants bénéficieront tous d’un accompagnement personnalisé de la part des experts de Monster, qui leur adresseront conseils et sélections d’offres d’emploi répondant à leurs critères de recherche.
Une campagne de communication originale autour de quatre candidats tirés au sort
Quatre candidats, qui auront eu la chance d’être tirés au sort, bénéficieront d’une médiatisation hors norme pour les aider à trouver le travail de leurs rêves. Chacun d’entre eux se verra offrir une visibilité maximale grâce à un dispositif spécifique :
• un site web mettant toute la lumière sur les compétences du candidat et bénéficiant d’un référencement optimal,
• une opération VIP dans les locaux de Monster où tous les conseillers se mobiliseront durant une journée entière pour aider le candidat à trouver le poste de ses rêves,
• une opération de street marketing étonnante au sein de l’entreprise de rêve d’un des candidats, qui aura notamment la possibilité d’offrir un café avec sa photo et son mini-CV imprimés à tous les salariés,
• une campagne d’affichage de grande envergure dans toutes les gares parisiennes valorisant les compétences du candidat sur 285 écrans digitaux.
Des opérations de recrutement 3.0 : une stratégie de long terme pour Monster
L’opération #recrutezmoi s’inscrit dans le prolongement du Live Forum de l’emploi. Cette opération avait proposé en avril dernier aux candidats en recherche de nouvelles opportunités de carrière d’afficher leurs envies d’évolution professionnelle sur l’écran géant du parvis de La Défense et avait suscité plus de 1 200 tweets. Marc Suchet, directeur Marketing de Monster France, Espagne et Belux commente : « L’innovation technologique et la mise en valeur des candidats font partie de l’ADN de Monster. Cette fois encore, nous allons un peu plus loin pour permettre à nos candidats de trouver mieux en participant à des actions de recrutement social innovantes et 3.0 ! »
Magie. Miracle de la communication moderne. Mes doigts en sont tombés de leur clavier tellement nous avions un concentré de l’idée-pas-forcément-mauvaise-qui-a-dû-déraper-quelque-part-pour-finir-dans-le-mur. Loin de moi l’idée de critiquer cette opération qui a le mérite d’exister dans une période tendue pour l’emploi. Mais je trouve que dans le fond presque tout fait gadget : la candidature via Facebook et Twitter, le tirage au sort, les gobelets distribués à l’entrée d’une agence de com avec le visage et le CV d’une candidate (franchement, c’est digne d’un stand de dégustation de Knacki Balls à Auchan en période de Noël)… Seuls le coaching et le shooting photo avec campagne de pub dans 4 grandes gares parisiennes me paraissent vraiment utile pour le candidat, qui repartira avec des conseils de professionnels. C’est toujours mieux qu’un verre en plastique à son effigie.
Je vous laisse apprécier le résultat de l’opération en images :
Mais là où je me dis que nous sommes dans l’opération d’image à fond avec une agence qui a vendu un concept auquel Monster n’a rien compris en se disant « oué trop cool on est hype » c’est lorsque j’ai vu la mention :
« Des opérations de recrutement 3.0 »
Whaaaaaat ? Mon radar à bullshit s’emballe soudainement, je saute sur mon e-mail pour demander des précisions sur ce « 3.0 » à la RP, qui me les donne avec beaucoup de gentillesse :
Monster a utilisé le terme 3.0 pour parler de son opération #recrutezmoi car, en réel, il apparaît bien que cette opération va plus loin que du web 2.0. En tant qu’application sociale, qui fait interagir la communauté, donc 2.0, cette opération se base sur du web sémantique, avec la recherche de mots clés, et la personnalisation (Monster répond avec des offres personnalisées en fonction de la demande de chacun).
Enfin, l’opération permet aussi de mélanger url et irl : on va pouvoir passer du virtuel au réel avec #recrutezmoi (affichage, opération street marketing, séance de coaching).
MA-GI-QUE. Prenez bien le temps de relire l’explication alambiquée… « En tant qu’application sociale » (qui ? Monster ? C’est un job board, rien à voir), « cette opération se base sur du web sémantique avec la recherche de mots clés, et la personnalisation » (on appelle cela un moteur de recherche évolué, et le web sémantique n’a rien à voir là dedans).
Ou comment prendre un terme qui a un vrai sens (le Web 3.0 est souvent utilisé pour parler de web sémantique, mais ce terme reste assez technique) en le twistant pour arriver à « faire tendance » alors que ça n’a rien à voir avec la choucroute.
C’est ce genre de détail qui me fait toujours me demander qui a eu cette idée : le client qui a mis dans son brief qu’il voulait à tout prix être hype ? L’agence qui s’est dit qu’ils avaient trouvé un truc trop génial pour rendre sexy une opé somme toute assez classique ? Dans tous les cas cet angle pseudo tendance renforce le côté futile et gadget d’une action qui ne l’est pas forcément complètement dans le fond.
écrit par Damien Douani
Damien Douani se positionne à la croisée des chemins technologiques, médias, marketing et usages depuis près de 15 ans. Passionné de numérique, Geek assumé, il a croisé internet en 1996 et ne le quittera plus. Auteur et producteurs de nombreux contenus audiovisuels professionnels, il a occupé des postes de responsable innovation et prospective, puis directeur marketing au sein des grands groupes et starts-up. Il crée en 2011 FaDa social agency, société de conseil spécialisée dans l’accompagnement dans les mutations digitales et au développement de contenus, formats et dispositifs innovants. Il forme des entreprises et conçoit des expériences numériques impactantes pour de nombreuses marques, notamment en Social TV.
Auteur de nombreux blogs sur lesquels il écrit et podcaste, il chronique pour LePlus du Nouvel Observateur et ZDNet.
6 commentaires
stoi l'application sociale
Merci pour toutes les informations sur cette opération. Je souhaitais simplement réagir sur le fait que les Jobboards ne doivent pas oublier que leur rôle est de créer des opérations de communication sur le marché de l'emploi pour favoriser la mise en relation entre recruteurs et candidats. Pour que ça marche il me parait nécessaire qu'ils créent des liens plus forts avec leurs clients (entreprises et cabinets) mais aussi (et surtout) avec leurs "clients candidats".
Toute forme d'aide, de conseil et d'accompagnement en faveur des candidats est un moyen d'encourager les bonnes pratiques et permet assurément de promouvoir les profils de manière innovante. C'est pourquoi il me parait important qu'ils poursuivent ce types d'actions et même qu'ils aillent encore plus loin... 2.0 ou 3.0 ce qui compte c'est le fond!
Bonjour Damien,
J'étais sur Twitter quand j'ai vu le titre de ton article et j'ai tout de suite sauté avec délectation pour voir ce qu'il en était...et force est de constater que ce que tu reproches à l'agence de Monster, tu te l'appliques aussi. Le titre de ton article est aussi provocateur et décalé que ce que tu mets dans ton article. Autrement dit, ton titre est très accrocheur voir carrément aggressif (comme l'agence) et qu'au final, dans le fond, dans un contexte de chômage ou toutes initiatives sont intéressantes, tu reconnais que cette initiative a du bon. Moi, non plus, je ne suis pas très gadget, mais certaines idées peuvent aussi nourrir la créativité et faire avancer les choses.
Ce qu'il aurait été intéressant de faire, c'est d'interroger les 4 candidats sélectionnés, est ce que cela leur a servi ? Est ce que le coaching leur a été utile ? Voir le côté pratique de l'opération en interrogeant des personnes...
Dans mon cas, je suis en recherche de stagiaire, pendant l'opération, je me suis laissé aller à cliquer sur 2/3 profils que j'ai vu passer...
Je dois préciser que je ne suis pas une agence donc je parle en mon nom propre !
Bonne journée,
Laurent
Merci de vos réactions !
@Misserlian : je suis d'accord sur le fait qu'un acteur du marché de l'emploi se doit d'animer son réseau et créer des rencontres entre candidats et entreprises. Je trouve juste que nous sommes ici plus dans le gadget que l'utile, et que l'habillage de tout cela avec des notions qui relèvent plus de la "mode communicationnelle avec une forte dose de wow effect pailleté" que d'un message réellement fort pour l'emploi.
@Laurent : si cela a aidé ces 4 personnes tant mieux pour elles, évidemment. Si cela a permis de faire émerger des profils, tant mieux ! Mais justement, ce n'est pas cet angle qui a été retenu par Monster, ce qui est vraiment dommage car là résidait la vraie originalité de leur approche. Mon titre était volontairement du même acabit que le ton de l'action de com pour dénoncer cette technique accroche. Je ne dis pas qu'il ne faut pas mettre de "fun" dans tout cela car la situation actuelle est assez morose, mais passer le tout à la moulinette de l'approximation et du langage pubard entrée de gamme est une insulte à l'intelligence des gens sur le web.
A noter que la communication de fin de campagne cette notion de "recrutement 3.0" a été gommée, preuve qu'ils ont certainement remarqué que cela déservait le fond de leur action en soulignant le côté superlativement gadget de ce concept.
Donc on tire au sort quatre chômeurs, on en fait des stars d'un feuilleton de web-realité et on dit qu'on invente le monde de demain ? J'espère qu'il ne va pas ressembler à ça : je ne vois pas trop ce que ça a d'humain, d'authentique, de durable...